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Dr Alexis Theze : expert et chercheur en anthropologie

Passionné par l’osthéopathie, l’évolution et l’étude de l’Homme avec un grand H, le docteur Alexis THEZE travaille aujourd’hui en médecine du travail. Ce milieu lui permet de rencontrer des patients sans qu’il soit forcé que ceux-ci soient en mauvaise santé. L’avantage d’une telle relation avec un médecin permet d’approfondir d’autres aspects de la santé, de l’humain, et de prolonger ainsi ses réflexions et recherches sur l’évolution, et la relation entre structure et fonction. Le Dr Alexis Theze participe activement à de nombreux débats et publications médicales.  

Murder2000 : Bonjour. Vous êtes médecin mais aussi un véritable passionné des relations entre l’évolution, la forme et la croissance. Pouvez-vous nous expliquer quel a été votre parcours ?

Dr Theze : La médecine m’a attiré très jeune parce qu’elle me semblait avoir une valeur particulière, sortant de tout circuit économique… Il m’apparaît aujourd’hui que c’est surtout parce qu’elle est une approche privilégiée de l’autre (et donc de soi). Elle est en fait une dimension majeure de l’anthropologie, étudiant l’homme (et la femme) dans sa souffrance. Je suis toujours resté insatisfait du découpage constaté dans nos pratiques occidentales qui me semble être un phénomène récent. Sans doute le morcellement du savoir est-il rendu nécessaire par son accroissement exponentiel actuel, mais ceci devrait justement inciter à établir des ponts permanents entre toutes les voies d’exploration, internes et externes à un domaine tel que celui de la médecine. C’est ainsi que j’ai suivi des formations diverses, médicales et non médicales, qui toutes m’ont aidé à ressentir la place de l’humain d’aujourd’hui comme une transition entre celui d’hier et celui de demain ; chacun de nous est dépendant de l’espèce dont nous faisons partie et a une responsabilité vis à vis d’elle. Par extension chacun de nous est lié à (et responsable de) l’environnement qui conditionne notre survie…

La médecine ostéopathique a été une révélation en celà que la relation entre structure et fonction fait partie de son principe de base. C’est une approche globale qui m’a aidé à comprendre que tout est inscrit dans le corps, et que toute perturbation fonctionnelle va de pair avec une “cicatrice” physique.  

Murder2000 : Au cours de votre expérience en thanatologie, avez-vous eu l’occasion d’être confronté à l’aspect criminologie ?

Dr Theze : la criminalistique fait partie de l’intitulé de l’Attestation d’Etudes Universitaires de Lyon. Les autopsies pratiquées à l’institut de médecine légale auxquelles j’ai assisté ont évidemment porté à plusieurs reprises sur des affaires criminelles.  

Murder2000 : Par exemple, lorsqu’une personne est assassinée par balle, un médecin peut-il retrouver la distance de tir, l’heure du meurtre ou encore la position de la victime avant le crime ?

Dr Theze : Beaucoup de paramètres interviennent dans la précision de ces déterminations. Le délai entre la mort et la découverte du corps par exemple est très important : plus ce délai est court, plus on va pouvoir être précis sur l’heure du décès par exemple. Si la mort n’intervient pas instantanément après la blessure, la position de la victime au moment du tir va être difficile à préciser… La distance de tir peut être estimée d’autant plus fidèlement qu’elle est courte ; le médecin pourra demander le concours d’un expert en balistique afin de déterminer l’énergie présumée du projectile.  

Murder2000 : Mais alors, dans quelle mesure la médecine peut-elle assister les enquêteurs dans ce genre de circonstances ?

Dr Theze : Elle propose des intervalles de probabilité qui, s’il n’ont pas valeur de preuve, permettent souvent d’orienter l’enquête dans une direction qui aurait pu être négligé sans son concours.  

Murder2000 : Votre passion pour l’étude de l’homme et l’anthropologie vous a-t-elle amené à considérer l’aspect violent de l’espèce humaine ? Sommes nous faits pour être des prédateurs entre nous ?

Dr Theze : Nous sommes faits pour survivre, et plus exactement pour faire survivre l’espèce à travers nous. Nous avons en nous l’énergie nécessaire à cette survie. Ancestralement (et en fait il n’y a pas si longtemps) cette énergie servait sans doute à la défense contre les prédateurs, animaux sauvages ou hominidés d’autres tribus. La violence des conditions de vie justifiait la violence d’une réponse physiologique conduisant à une réponse efficace (fuite ou combat…). Pour Hans SELYE nous avons gardé ces capacités de réponse qu’on retrouve dans les signes du “stress”. Dans notre environnement actuel les contraintes sont beaucoup moins physiques ou biologiques que socio-culturelles ; plus que le niveau technique qui lui donne (l’illusion ?) le moyen d’être un acteur de son propre développement, l’homme s’est construit un environnement matériel et virtuel qui le conditionne complètement. Cet environnement devrait lui permettre de progresser vers une dimension plus spirituelle, mais il faut pour cela que les structures en soient suffisamment souples, qu’elles permettent à l’ensemble sociétal de s’enrichir de chaque individualité. La forme actuelle de notre civilisation ne semble pas pouvoir absorber nos différences individuelles, du moins quand elles dépassent une “norme” dont les limites sont trop étroites pour beaucoup d’entre nous (les plus différents qui sont peut-être justement les plus créatifs ?). Ceci n’engendre-t-il pas une souffrance, l’énergie se libérant sous forme plus ou moins violente suivant la personnalité de chacun, à l’extérieur de lui-même (déviances et crimes…) ou à l’intérieur (suicide ou maladies…). Certainement, quelque part l’homme est devenu un loup pour l’homme… Son évolution sociale a été trop vite par rapport à son évolution psycho-physiologique…  

Murder2000 : Comment se fait-il qu’une personne poignardée puisse survivre quelques temps sans soins alors qu’une simple blessure par balle peut tuer ? Pourtant une balle est un objet très petit ?

Dr Theze : Pour ce qui est des blessures par arme blanche et par balle, il y a une différence essentielle liée à l’énergie de l’objet vulnérant. Une arme blanche lèse les tissus qu’elle pénètre et les conséquences sont uniquement liées à l’importance fonctionnelle des organes touchés. Une balle transporte une certaine énergie cinétique liée à sa masse et à sa vitesse ; freinée dans l’organisme, l’énergie va être transférée dans les tissus, un peu comme l’énergie liée à la vitesse d’un véhicule est dissipée en chaleur et dans l’usure des structures de freinage. La gravité des lésions est ainsi directement proportionnelle à la diminution de la vitesse entre l’entrée et la sortie du projectile ; une balle qui ne ressort pas aura transférée la totalité de son pouvoir vulnérant et sera susceptible d’avoir eu son effet délétère maximal. A l’inverse une balle qui ressort en n’ayant perdu qu’une vitesse minimale ne va léser qu’une quantité minimale de tissu, celle qui se situe sur la ligne entre son orifice d’entrée et son orifice de sortie, comme si la lésion avait été provoquée par une arme blanche. Tout ceci fait référence à un domaine de la balistique appelé “balistique lésionnelle”, évidemment très étudié par les militaires de tous les pays. C’est comme çà qu’ont été élaborées les armes de guerres à petit calibre (poids moindres des munitions) avec grosse charge de poudre (grande vitesse). Les crédits pour cette discipline sont visiblement importants… Il y a beaucoup à dire et çà prendrait trop de temps de vous livrer le peu que je connais, mais l’acquisition de notions balistiques est nécessaire à la compréhension de certains phénomènes, tels que la gravité d’une blessure provoquée par une balle ayant traversé un gilet de protection : il est parfois plus dangereux de porter un gilet pare-balle !  

Murder2000 : Pensez vous qu’une évolution physiologique devrait suivre ? Dans quel sens ? L’Homme doit il tenter de se modifier lui-même ou attendre une évolution « naturelle » ?

Dr Theze : Je crains que votre question ne nous entraîne dans des développements trop conséquents. Il faut aborder l’évolution sous divers aspects : physiologique, ethno-sociologique, voire spirituel… Ceci nous amène à aborder l’écologie, la médecine, les sciences, le clonage… Un point de départ intéressant me semble être une réflexion sur la différence (et les liens) entre évolution et mutation. L’essentiel du problème actuel tourne à mon sens autour de la vitesse où vont les choses. La mondialisation a fait se rencontrer (s’affronter) des populations ayant évoluées chacune dans un environnement et selon une dynamique différents, et plutôt que de s’enrichir de ces différences, on constate une volonté de normalisation aboutissant à une rigidification sociale qui limite les évolutions personnelles… Je suis convaincu d’une chose, c’est que l’évolution biologique et l’évolution sociale vont de pair, de même que l’évolution morphologique d’un organisme vivant va de pair avec son évolution fonctionnelle. Mon intérêt pour la médecine physique est lié à cette conviction, comme quoi la morphologie d’un individu résume son histoire (inconsciente et consciente), ses aptitudes et ses dispositions. J’ai l’habitude de dire que le corps compense tout mais n’oublie rien. Ma passion est d’apprendre son langage.  

Murder2000 : Docteur Theze, merci.